CINQUANTE
ANS DE PEINTURE
FRÉDÉRIC
ROUGE (1)
Sous
ce titre a paru récemment un magnifique album qui comporte 46 planches
(dont 6 en couleurs), offrant au public une très belle collection
des principales oeuvres picturales de Frédéric Rouge. Cet
album, réussi à tous égards, est précédé
d'une préface, extrêmement intéressante et fort originale,
due à la plume de M. G. Addor, chancelier d'État.
Les oeuvres reproduites montrent l'extrême variété
du talent de Frédéric Rouge : portraits, paysages, scènes
de la vie champêtre, scènes militaires, scènes de
chasse, scènes alpestres, voire même affiches et vitraux.
En dépit de cette diversité, l'œuvre du peintre d'Ollon
constitue un ensemble harmonieux, qui fait ressortir les qualités
exceptionnelles de ce grand artiste de chez nous.
Ces qualités sont avant tout la personnalité, la sincérité,
la mesure et la grande modestie.
Frédéric Rouge est lui-même. Il suffit d'ailleurs
de le voir pour se rendre compte que l'on se trouve en présence
d'une forte et sympathique individualité : sa fine silhouette de
gentilhomme-artiste, son costume si personnel qui tient du chasseur et
du peintre, ses yeux pénétrants, pétillants de malice
et de bienveillance, ses mains aristocrates, son "classicisme "
tempéré d'un romantisme sobre et discret. Le peintre a la
même note personnelle que l'homme. F. Rouge n'appartient, en effet,
ni à un clan, ni à une chapelle artistique. Il ne cède
pas non plus aux caprices de la mode, ni aux excentricités artistiques
qui peuvent assurer des succès passagers, mais qui sombrent très
vite dans l'oubli ou dans le ridicule.
Les oeuvres de F. Rouge respirent la vérité, la probité,
la santé. Pour quelques-uns, ce sont évidemment de graves
défauts ; mais pour le vrai public, exempt de snobisme, ce sont
des qualités maîtresses, que notre peintre possède
à un degré éminent. Ces qualités, il les montre
non seulement dans le choix des sujets, mais dans la manière personnelle
de les traiter, dans le fini et la nuance de l'œuvre achevée.
Et c'est à cause de ces qualités que, malgré les
oppositions et les injustices dont il a parfois été victime
au début de sa carrière, F. Rouge s'est imposé et
qu'il est considéré aujourd'hui - à juste titre -
comme l'un des grands artistes de notre pays.
Le peintre Rouge a précisément le mérite - que je
considère comme essentiel - d'être compris et aimé
de ses concitoyens. Il y a trop souvent des cloisons étanches entre
les artistes et le public. L'hermétisme de certains peintres, le
fossé qui se creuse entre eux et la nation, l'incompréhension
mutuelle qui en résulte, sont aussi déplorables pour l'art
que pour le peuple. Rouge, au contraire, tout en poursuivant, sans compromission,
un idéal hautement artistique, est toujours resté en contact
intime avec le pays. Il n'a jamais rompu le lien qui l'unit à la
terre de ses pères. C'est pourquoi, il est resté en communion
avec notre peuple et qu'il a peint d'une manière si remarquable
et parfois si émouvante, les gens et les choses de chez nous. A
la fois réaliste et idéaliste, F. Rouge a su donner une
image sincère et magnifique de notre pays et de notre race.
Tous ceux qui se procureront le bel album " Cinquante ans de peinture
" - monument de gratitude et de fierté élevé
à l'honneur d'un concitoyen aussi distingué que modeste
-, vivront des heures délicieuses en trouvant ainsi rassemblées
les oeuvres les plus caractéristiques de notre grand peintre, éparses
aujourd'hui dans les musées et dans les collections particulières.
Ils y trouveront de nouvelles raisons d'admirer la belle terre qu'ils
aiment. Ils seront reconnaissants à Frédéric Rouge
d'avoir exprimé si parfaitement notre sens du beau, de s'être
fait l'écho de notre sensibilité, le miroir fidèle
de l'âme vaudoise.
Charles GORGERAT.
(1) Editions E. Freudweiler-Spiro, Librairie Centrale, Lausanne.
|